La pandémie stimule l’activité du secteur pharmaceutique français, incité à se réarmer. A cet exercice, une poignée de régions pourrait sortir gagnante au rang desquelles la Normandie. Place forte de l’industrie du médicament, elle a enregistré ces dernières semaines une vague d’investissements d’un montant de plusieurs centaines de millions. Responsable ? Un écosystème fécond qui attire les capitaux.
Une effervescence inhabituelle régnait ces derniers jours sur le parking de l’usine Delpharm de Saint-Rémy-sur-Avre où stationnaient plusieurs camions de télévision. En cause, la Covid. Propriété de ce façonnier pharmaceutique indépendant, l’usine est, en effet, la première en France à se lancer dans la fabrication d’un vaccin contre le coronavirus à la faveur d’un contrat conclu avec Pfizer. A compter du mois d’avril, elle produira plusieurs millions de doses du précieux liquide. A la clef, une soixantaine de nouveaux emplois et un investissement de dix millions d’euros pour ce site spécialisé dans les injectables, situé à la frontière de trois départements l’Eure et Loir, l’Eure et l’Orne.
Triangle d’or
La nouvelle n’a pas surpris outre mesure les responsables de Polepharma : un cluster très actif qui opère depuis Chartres, Louviers et Paris dans le triangle d’or de l’industrie française du médicament.
” Les procédés pharmaceutiques sont tellement complexes et spécifiques que les augmentations de capacités voire les relocalisations se feront majoritairement là où le savoir-faire et les installations existent déjà », analyse son directeur, Fabien Riolet.
Comprendre, la pharma ira à la pharma comme l’argent va à l’argent.
Un creuset favorable
Vue sous cet angle, la Normandie a tout lieu de se réjouir du regain d’activité qui point à l’horizon. Grosse exportatrice, elle abrite un quart des emplois de la filière et plusieurs vaisseaux amiraux industriels, dont la plus grosse unité de fabrication au monde du vaccin grippe. Tout porte à croire que celle-ci deviendra d’ailleurs le centre de distribution planétaire du futur vaccin contre la Covid de Sanofi Pasteur.
“Dans la mesure où cette région a accès à des aéroports, à des grands ports et à l’énorme bassin de consommation parisien, tout plaide en faveur d’un regain de croissance que ce soit à l’export ou en distribution”, souligne Sébastien Guenegan, directeur de l’activité santé du groupe de location d’équipements frigorifiques Petit Forestier. Lequel a développé une division pharmaceutique florissante s’appuyant sur un réseau qui dépasse, par son maillage, celui de beaucoup de grossistes répartiteurs, et témoigne d’une très forte implication sur le bocage normand.
Cela n’est pas hasard si Hervé Morin, président de la Région, a confié au président de l’agglomération Seine Eure, lui-même ancien cadre de la pharmacie, le soin de cogiter sur les possibilités de ré-industrialisation de la filière. Pour Bernard Leroy, les perspectives sont encourageantes: “La pandémie et la fermeture des frontières ont accéléré la prise de conscience des industriels qui cherchent, depuis quelques années, à se départir de leur dépendance à l’Asie. Il y a tout lieu de penser que notre écosystème en tirera profit”.
L’industrie répond présente
Du reste, la volonté affichée par le gouvernement de rapatrier en France la production de principes actifs rencontre déjà un écho positif sur le territoire. Illustration chez un autre façonnier français, Fareva. En course sur l’un des volets du plan de relance, il veut augmenter la production de cortico-stéroïdes (des principes actifs utilisés dans le traitement du coronavirus) réalisée dans son usine de Val de Reuil dans l’Eure.
Chez Oril Industrie à Bolbec (Seine-Maritime, 750 salariés), l’investissement est acté. Sa maison mère, la multinationale française Servier a fait savoir qu’elle allait injecter 100 millions d’euros afin de doubler ses capacités de fabrication de la substance active du Daflon, un médicament qui stimule la circulation du sang dans les veines. Là aussi, le projet de Servier s’inscrit dans le cadre du plan de relance comme d’ailleurs celui du laboratoire Seqens au bénéfice de son établissement de Couterne dans l’Orne, dédié à la chimie fine. Lauréate de l’AAP sur la ré-industrialisation, le labo promet ” d’innover pour minimiser les risques de ruptures de principes actifs destinés à la prise en charge des patients atteints de la Covid”, précise Bercy dans un communiqué.
Tendance bien orientée également dans les medtech
Dans les medtech également, la tendance est bien orientée. L’américain West Pharma dépense ainsi une trentaine de millions sur son site de l’Eure pour doper la production de systèmes d’injection et prévoit l’ajout de deux lignes supplémentaires en 2022. La puissante firme US Aptar, dont sept des onze implantations industrielles françaises sont domiciliés en Normandie, fait encore plus fort. Elle va décaisser près de 100 millions de dollars en cinq ans pour étendre ses deux usines de Granville et Brécey situées à quelques encablures du Mont Saint-Michel. Celles-ci ont pour spécialité la fabrication de protège-aiguilles, de pistons pour seringue et de bouchons pour les flacons de médicaments. Les deux groupes, qui avaient validé leurs projets avant la crise sanitaire, pourraient avoir eu le nez fin.
Si, comme tout le laisse à penser, l’administration du vaccin se fait majoritairement par voie intramusculaire (par opposition à la voie nasale), la demande déjà forte sur les injectables promet d’exploser.
Propos recueillis par Nathalie Jourdan, La Tribune, 22 novembre 2020