Rencontre avec Alain Beck, expert tricolore du biotesting des anticorps thérapeutiques :
« Une formidable opportunité de partager sur nos retours d’expérience et de travailler ensemble »
En tant que Directeur CMC (Chemistry Manufacturing and Controls) de Pierre Fabre, Alain Beck pilote les activités de fabrication, caractérisation et de contrôle des molécules biologiques au sein du Centre d’Immunologie du laboratoire, à Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie), près de Genève.
Son fil rouge ? Améliorer le contrôle analytique et fonctionnel des anticorps monoclonaux thérapeutiques et dérivés, comme les immuno-conjugués en oncologie, un axe de travail en lien direct avec les Journées Polepharma du Biotesting (JPB22), qui se tiendront les 1 & 2 juin 2022. Dans ce contexte, il a répondu présent pour échanger et partager, lors d’une conférence prémium, sur les stratégies analytiques avancées visant à accélérer le développement des biothérapies, un enjeu de taille en matière de santé publique et de souveraineté à l’avenir.
Rencontre avec un scientifique à succès, impliqué dans le développement pharmaceutique de plus d’une dizaine d’anticorps thérapeutiques, et qui affiche de grandes ambitions pour la filière biopharmaceutique.
Comment définir le biotesting ?
Le « biotesting » selon Polepharma vise l’ensemble des méthodes de caractérisation analytique et fonctionnelle des principes actifs biologiques. Cela donne la direction de ces Journées Polepharma du Biotesting, auxquelles je souhaite participer activement, pour promouvoir des stratégies analytiques plus sophistiquées et adaptées aux biomédicaments multifonctionnels et complexes d’aujourd’hui. Avec l’enjeu, derrière, d’accélérer le développement des biothérapies et d’enrichir notre arsenal thérapeutique. Le champ d’application des anticorps est aujourd’hui vaste. Hors oncologie, les succès sont déjà démontrés dans les domaines de l’inflammation et de l’auto-immunité et, plus récemment, contre la Covid-19. Le focus est également mis dans la recherche sur l’infectiologie bactérienne et virale, la cardiologie, le métabolisme, la dermatologie, l’hémostase, la génétique et la maladie d’Alzheimer.
En quoi le biotesting est-il central à votre fonction ?
Le biotesting est une des clés de voûte des étapes de R&D biopharmaceutique : de la découverte à la sélection des têtes de séries, suivie de l’optimisation des candidats médicaments, puis les contrôles tout au long des études cliniques, jusqu’à la commercialisation. A l’heure actuelle, l’un des principaux enjeux est d’arriver à caractériser ces molécules complexes, issues des biotechnologies, d’une manière aussi fine que les petites molécules chimiques. L’un des intérêts de mon poste est donc de contribuer à identifier les têtes de série « développables » très en amont, capables de se transformer en futurs médicaments en étroite collaboration avec des équipes multidisciplinaires. L’idée étant de ne pousser en développement pharmaceutique que les molécules prometteuses non seulement du coté pharmacologique mais aussi en fabrication et contrôle (CMC). Concrètement, cela signifie optimiser leur structure et intégrer, très tôt, les leçons des échecs et des réussites précédents dans une logique d’amélioration continue. Finalement, mon travail consiste aussi à faire des prédictions sur les succès de fabrication, de changement d’échelle et de stabilité de nos candidats biomédicaments. A ce niveau, disposer d’une boite à outils de méthodes analytiques et fonctionnelles est un élément clé pour avoir une longueur d’avance sur leur complexité. Bien se préparer nécessite également de comprendre les attentes des autorités réglementaires et d’anticiper les évolutions. Cela passe par de nombreux échanges et un travail collaboratif sur toute la chaîne du médicament : recherche académique, entreprises de biotechnologie et laboratoires pharmaceutiques, sous-traitants analytiques et de fabrication. D’où l’intérêt de se retrouver à ces Journées Polepharma du Biotesting pour échanger, présenter nos travaux, s’imprégner des avancées du secteur et initier de nouvelles collaborations !
Dans quel sens le biotesting est-il stratégique pour Pierre Fabre ?
Connaître en profondeur les structures moléculaires est essentielle au succès du développement de nos médicaments. Cela signifie de bien évaluer leurs points forts et faibles en termes de stabilité. La stratégie porte aujourd’hui sur les molécules multifonctionnelles. Avec l’intérêt, dans notre travail actuel, de pouvoir intégrer la courbe d’expérience des molécules les plus mûres. Nous avons plus de 30 années de recul sur les anticorps monoclonaux avec plus d’une centaine de molécules et de dérivés déjà sur le marché. Un cas prometteur vise les immuno-conjugués (ou Antibody Drug Conjugates, ADC), qui consiste à coupler chimiquement une molécule cytotoxique, par exemple, à un anticorps monoclonal, pour bénéficier de ses propriétés de ciblage très spécifiques. Cela représente un challenge supplémentaire au niveau du biotesting, puisque nous avons plusieurs fonctions à caractériser (si possible en même temps) sur une même molécule. Nous avons besoin d’une double expertise : il nous faut maîtriser la caractérisation de molécules issues des biotechnologies comme les anticorps, c’est-à-dire des molécules larges avec des profils particuliers de sucre ou de structure ou de ponts disulfure et, en même temps, bien maitriser la petite molécule couplée chimiquement, garantir sa stabilité, et identifier – le cas échéant – ses points de fragilité en amont pour les corriger. Et cela, afin de ne pousser en développement pharmaceutique que les meilleurs candidats. Le biotesting est ainsi un élément clé de notre stratégie d’innovation.
Pourquoi est-ce important d’en parler aujourd’hui aux Journées Polepharma du Biotesting?
Chez Pierre Fabre, nous travaillons dans le domaine des anticorps monoclonaux et de leurs dérivés depuis plus de 20 ans. Nous avons noué de nombreux partenariats et licencié nos molécules à des grands groupes comme Merck ou AbbVie ou des sociétés de biotechnologie telles que ValenzaBio. Dans le même temps, nous avons construit un vaste réseau de collaborations analytiques et structurales avec des laboratoires académiques et industriels, ainsi que des fabricants d’appareils de mesure comme les spectromètres de masse. Ces liens étroits nous permettent d’avoir accès à des méthodes analytiques sophistiquées et innovantes et des prototypes d’appareils de mesures pour bien maitriser la complexité de nos candidats médicaments. En 2021, nous avons ainsi cosigné une quinzaine de publications scientifiques pour partager des données sur des molécules de référence approuvées par l’Agence européenne du médicament (EMA) et ainsi accumuler de la connaissance avancée accessible à tous. C’est le résultat de ce travail collaboratif que je présenterai lors des Journées Polepharma du Biotesting.
Un exemple de liens étroits tissés sur la chaîne du médicament est votre partenariat avec l’Université de Tours. Sur quels axes de recherche ?
Nous travaillons à la promotion des anticorps thérapeutiques depuis plus de 20 ans avec Hervé Watier, professeur d’immunologie à l’Université de Tours, qui dirige le Laboratoire d’Excellence MAbImprove, qui fédère 28 équipes de recherche et plus de 200 chercheurs (Inserm, CNRS, Inra, …), avec des travaux précurseurs dans ce domaine. En 2019, nous avons coordonné un numéro spécial sur les anticorps pour la revue Médecine/Sciences de l’Inserm, dix ans après un premier numéro et, en 2020, nous avons publié une revue des anticorps immuno-conjugués (N. Joubert et al, Pharmaceuticals). L’idée étant de pointer les réussites et les échecs pour en tirer les enseignements.
Un axe de recherche actuel, pour les laboratoires tourangeaux, est d’optimiser la stabilité du lien qui unit la petite molécule chimique à l’anticorps (« linker ») ainsi que la position de couplage qui permet d’augmenter l’homogénéité de l’ADC. C’est l’axe sur lequel s’est notamment positionnée la start-up McSAF, fondée par Marie-Claude Viaud-Massuard, et issue de ce LabEx.
Publier sur l’avancée de nos travaux permet de diffuser notre savoir et d’échanger sur ce qui a été acquis grâce à la collaboration. Chacun apporte sa pierre à l’édifice du biotesting. C’est essentiel lorsque l’on travaille sur des molécules complexes et dans un contexte de forte compétition internationale.
Quels sont les défis et opportunités qui se présentent à l’heure actuelle pour le développement des anticorps thérapeutiques ?
Le domaine a énormément évolué sur la dernière décennie, avec un triplement du nombre d’anticorps et de dérivés mis sur le marché, sans compter une douzaine de protéines et peptides de fusion-Fc. En immuno-oncologie, l’avènement des anticorps modulateurs des points de contrôle de l’immunité a été une réelle avancée. Les immuno-conjugués ont également confirmé leur intérêt thérapeutique, ainsi que les anticorps biosimilaires, deux fois plus nombreux en Europe qu’aux Etats-Unis, qui font maintenant partie de l’arsenal thérapeutique.
Pour continuer sur cette belle dynamique, nous devons tirer les leçons de l’accélération de la mise au point des thérapies anti-SARS-COV2, qui ont permis de rechercher et découvrir en un temps record des vaccins, mais aussi des anticorps anti-Covid-19, sur la période 2020/2021. Nous avons pu relever les défis posés par leur développement en partie grâce à notre boîte à outils de méthodes analytiques et fonctionnelles, qui était prête pour cela. Un autre point fort dans cette accélération a été de pouvoir transmettre des données en temps réel aux autorités, basées sur des plateformes biotechnologiques. L’objectif est maintenant de dupliquer ces bonnes pratiques à d’autres pathologies à fort service médical rendu comme l’oncologie et les maladies orphelines, en accord avec les autorités réglementaires.
Sur quelles thématiques allez-vous intervenir lors des Journées Polepharma du Biotesting et avec quels enseignements à partager ?
Ces Journées Polepharma du Biotesting vont me permettre de présenter et discuter des dernières méthodes analytiques développées chez Pierre Fabre et nos partenaires pour caractériser les anticorps thérapeutiques, mais aussi des dérivés plus complexes comme des ADC, des anticorps bispécifiques, des protéines ou des peptides de fusions-Fc et des immuno-cytokines. Je vais me concentrer sur des méthodes plus amont, au contact des académiques, avec de nouvelles façons d’accélérer l’analyse. Il s’agit de méthodes de séparation ou de caractérisation utilisant la spectrométrie de masse. D’autres points seront traités sur le contrôle qualité avec des méthodes validées et qui pourraient se focaliser sur certains attributs et contaminants critiques de ces molécules.
Dans un monde davantage orienté vers l’optimisation, quels autres points vous semblent intéressants de mentionner pour les acteurs du biotesting ?
Ces Journées Polepharma du Biotesting constituent une formidable opportunité de partager sur nos retours d’expérience de développement de candidats médicaments et de les intégrer sous la forme de critères de « développabilité » pour nos recherches futures. Sur l’axe de la validation, il y a de réels espoirs de revisiter les attributs qualité réputés critiques à la caractérisation des médicaments pour ne se concentrer que sur ceux qui le sont vraiment pour les patients, éviter les surcoûts et aller plus vite. Reste à prendre en compte cette courbe d’expérience acquise, notamment sur les anticorps et protéines de fusion biosimilaires approuvés en Europe ou aux Etats-Unis, pour s’améliorer encore et encore. Comme le souligne l’objectif de ces Journées Polepharma du Biotesting, les stratégies analytiques avancées doivent contribuer à l’accélération du développement des biothérapies !
Quelles sont, selon vous, les évolutions nécessaires pour la filière ?
L’une des priorités actuelles pour développer la filière biopharmaceutique est de fédérer l’ensemble des acteurs comme Polepharma (cluster santé) ou l’association MabDesign (référent pour les Immunothérapies et biomédicaments) dont je préside le Comité d’Orientation Scientifique et Stratégique (COSSF). A la différence des Etats-Unis, il est réputé difficile en France d’animer des plateformes d’échanges entre toutes les parties prenantes y compris les autorités réglementaires. La pandémie, qui a révélé nos faiblesses, a aussi accéléré les mises en relation et la prise de risque industriel au sein de la filière. Depuis 2021, nous sommes témoins que davantage de tests sont menés sur des technologies de rupture. Au-delà de l’ARNm, des initiatives prometteuses ont été prises pour développer des anticorps polyclonaux ou bispécifiques, ou encore des systèmes de production innovants qui permettent, par exemple, de travailler en continu. Elles nous invitent à être optimistes et confiants sur le fait qu’un virage a été pris en faveur de nouvelles solutions thérapeutiques à l’avenir. Rendez-vous donc aux Journées Polepharma du Biotesting pour travailler tous ensemble à les rendre possibles et réalisables !
Pour plus d’informations, contactez Fabien Menissez : fabien.menissez@polepharma.com